Prima Figlia Femmina. Avec un regard néoromantique et engagé, Claudia se réapproprie en la féminisant l’expression italienne primo figlio maschio, symbole d’un déséquilibre systémique qui perdure. Jusqu’il y a peu, seul le « premier fils mâle » héritait ; aux femmes revenait le trousseau, meubles et linge de maison. Bien que figlio puisse désigner le fils ou l’enfant sans référence à son genre, l’expression semble trahir, par insistance, un système où le fils, le mâle, le mari, le frère demeurent le point de référence. L’expression primo figlio femmina en est le pendant théorique. Sa formulation même trahit une impossibilité conceptuelle.
En usant d’un néologisme, Claudia Passeri nous invite à repenser, se réapproprier le langage au sens propre. Il est la matrice de la pensée, entre expression personnelle et expression engagée. À repenser aussi ce qui paraît immuable, à titre d’exemple et de symbole : le paysage, les normes (de succession notamment), les frontières, physiques ou mentales.
Chaque Parcelle est une représentation topographique et allégorique, une carte du tendre en vitrail dont on aurait effacé le nom des lieux. Les champs de Scheggia deviennent insituables, de même que le centre du village et ses hameaux dépeuplés. Le paysage est ici évoqué en tant que concept, à travers sa nature immatérielle – le paysage comme objet idéel, infini, qui n’existe que par le regard critique et subjectif –, et paradoxalement terriblement concrète – le visible topographique, le territoire cadastral dont on hérite, que l’on cultive ou abandonne, où la famille a vécu, où l’on vit, ses chemins bornés.
Nous nous ancrons forcément dans un paysage, ce qui pose la question de la gestion et de la transmission de ce patrimoine à la fois immatériel et foncier, puis la question de la répartition des ressources, par essence limitées. Ceci aboutit inévitablement à des préoccupations concernant la mise en valeur et la préservation.
Plus précisément, au nom de quelles valeurs autorise-t-on une exploitation, pondérée ou intensive ? Comment décide-t-on de la réaffectation des espaces ? Comment considère-t-on, dans cette perspective de gestion spécifique et cette transmission, le progrès, l’émergence de nouvelles préoccupations ? Selon quels critères (propriété privée, libre-arbitre, écologie) ? Que faire de terres quand l’art de cultiver s’est perdu ? Une démarche artistique peut-elle les cultiver ?
Un agrégat de parcelles s’interprète également comme la métaphore d’un patrimoine naturel, culturel, affectif, sociétal. À titre individuel, collectif ou idéologique, de quoi hérite-t-on quand on hérite d’un terrain (ou de la Terre) ? Que fait-on de la responsabilité qui accompagne ce don ?
Prima figlia femmina
Nosbaum Reding Projects
Photos : Patty Neu