Lorentzweiler, sur la longue route reliant Luxembourg au nord du pays, N7 ou E421 selon les dénominations administratives.
Un lieu en permanente transformation, mélange de villas cossues – d’ambitions et de décennies diverses –, de maisons accolées aux couleurs parfois originales, et de nouveaux appartements qui trahissent une forte poussée démographique.
Une minuscule station essence à l’allure un peu désuète, imperceptiblement réaffectée au Service forestier de la commune. Sur son toit, une main blanche, lumineuse et fantomatique la nuit, marque notre passage d’un « salut vulcain », mondialement popularisé par la série Star Trek.
Claudia Passeri a toujours eu une appétence pour de tels endroits, ceux où l’art contemporain arrive par surprise. Souvenons-nous des projets conçus dans le cadre du collectif « Common Wealth » (Ombrie, 2019) et de l’Agence Borderline (notamment la reconversion éphémère de maisons de douane en 2007 à la frontière franco-luxembourgeoise). Mentionnons également sa fresque « Papillon de résistance » sur la façade de la Chambre des Salariés à Luxembourg (2019) et « Red sunset, emerald flash... » (2012), un ponton qu’elle a repeint aux couleurs des reflets d’un soleil se couchant sur l’Hudson (Hudson Valley MOCA, Peekskill, NY).
Lorentzweiler est marquée par le passage, la route vers la ville ou l'escapade. « So long » borne visuellement le lieu géographique et la bascule mentale, par un soupçon d'inattendu et si possible ralentissant.
Ce titre évoque tour à tour une rencontre qui a tardé ou qui se termine (« So long Marianne »), une route lynchéenne aliénante, un road-trip rythmé par l’esthétique publicitaire des stations-service et les panneaux d’entrée et de sortie des villes.
Le salut est par excellence le signe premier de la communication, celui par lequel se manifestent les intentions avant même le premier mot. Il s’agit ici d’un salut adressé aux habitants, navetteurs et passants fortuits, un salut de bienvenue, d’au revoir, et de bienveillance si l’on pense au fameux « Long live and prosper » qui accompagne habituellement le salut vulcain.
La pièce de Claudia Passeri est aussi imprégnée par une époque où la pop culture s’infiltre continuellement dans le champs politique, après les trois doigts brandis massivement par les protestataires thaïlandais et birmans (en référence à la série « Hunger Games ») ou les militantes revêtant la robe écarlate de la série « The Handmaid’s Tale ».
À l’opposé, « So long » est un signe de ralliement positif, de ré-humanisation de l’espace public après d’interminables mois de confinement. C’est une main qui crée un lien d’identitéÌ, d’altéritéÌ, d’éclosion et d’ouverture, à la manière de ce que Pierre Boudon analysait dans la "Main ouverte" de Le Corbusier (« La main comme être collectif », Signata, 2010).
À propos de cette imposante structure érigée dans la ville nouvelle de Chandigarh, et de l’image de la main ouverte, récurrente dans son œuvre, Le Corbusier disait qu’elle symbolisait « l'humanité désarmée, sans crainte et spirituellement réceptive » :
« Ouverte pour recevoir / Ouverte aussi pour que chacun y vienne prendre / Les eaux ruissellent / le soleil illumine / les complexités ont tissé leur trame / les fluides sont partout. / Les outils dans la main / les caresses de la main / la vie que l’on goûte par le pétrissement des mains / la vue qui est dans la palpation. / Pleine main j’ai reçu, pleine main je donne. » (Le Corbusier, Le poème de l'angle droit, 1955)
Benoit Delzelle